« 99 F »: le coup de sang d'un fils de Pub.

                Ex-publicitaire, Frédéric Beigbeder, dans son quatrième romn, s'attaque au
                monde de l'argent. 

                « 99 FRANCS », roman de Frédéric Beigbeder, éditions Grasset, 282 pages, 99 F/15
                euros.

                L'HISTOIRE: As du slogan qui fait mouche, Octave est dans une mauvaise passe.
                Son talent de concepteur-rédacteur publicitaire souffre d'un excès de drogue, d'argent,
                de nuits trop arrosées et de filles faciles. Entre Saint-Germain- des-Près, un séminaire
                en Afrique et un tournage à Miami, le jeune publicitaire va tenter de recoller les
                morceaux de sa vie professionnelle et sentimentale.

                L'AUTEUR: Agé de 35 ans, Frédéric Beigbeder a travaillé durant dix ans comme
                créatif dans trois agences de publicité réputées. Parallèlement, il a publié trois romans
                (« Mémoires d'un jeune homme dérangé », La Table Ronde 1990; « Vacances dans le
                coma », Grasset 1995 et « L'amour dure trois ans », Grasset 1997), un recueil de
                nouvelles (« Nouvelles sous ecstasy », Gallimard 1999) et un ouvrage sur les poupées
                Barbie (Assouline 1999). Frédéric Beigbeder est également chroniqueur littéraire à «
                Voici », France Inter (« Le Masque et la plume ») et Paris Première (« Rive droite,
                rive gauche »).

                L'EXTRAIT: « Le séminaire de motivation commence par une utopie collectiviste:
                soudain nous sommes tous égaux, les esclaves tutoient les patrons, place à l'orgie
                sociale. Du moins le premier soir. Parce que, dès le lendemain matin, les clans se
                reforment, on ne se mélange plus sauf la nuit, dans les couloirs où s'échangent les clés
                de chambre: le vaudeville devient alors la seule utopie. Il y a une juriste ivre morte qui
                pisse accroupie dans le jardin; une secrétaire qui déjeune seule parce que personne ne
                veut lui parler; une directrice artistique sous calmants qui casse la gueule à tout le
                monde dès qu'elle a bu un verre de trop (...). La vie dans l'Entreprise reproduit la
                cruauté de l'école, en plus violent car personne ne vous protège. Vannes inadmissibles,
                agressions injustes, harcèlement sexuel et guéguerres de pouvoir: tout est permis
                comme dans vos plus affreux souvenirs de cour de récréation. » FREDERIC
                Beigbeder est le type d'écrivain que beaucoup de gens connaissent sans l'avoir jamais
                lu. L'homme est un mondain, un Parisien; un multi-cartes des médias qui occupe le
                terrain avec une remarquable constance. Les « ménagères de moins de cinquante ans
                » le retrouvent dans « Voici »; les intellos l'écoutent sur France Inter, au « Masque et
                la plume »; les câblés le suivent sur Paris Première, en compagnie d'Ardisson (qui se
                ressemble s'assemble?).

                Avant d'écrire - des livres - Frédéric Beigbeder est un bateleur de la chronique, un
                découvreur de nouveaux talents littéraires. Le grand échalas - mèche rebelle, visage
                osseux et sourcils à la Méphisto - a de quoi agacer. Il cultive volontiers le modernisme
                à tout crin, la provocation parfois un peu facile. Même si derrière le show, il dévoile
                souvent (particulièrement à la radio) une solide culture où Maupassant prend
                facilement le pas sur la dernière merveille amerloque.

                Dans « 99 francs », l'un des romans français les plus percutants de la rentrée, Frédéric
                Beigbeder se livre à un vigoureux jeu de massacre. En ligne de mire: la publicité, sa
                vacuité, sa fausse inventivité, sa vision totalitaire du monde. Ancien créatif dans de
                grandes agences parisiennes, l'auteur sait visiblement de quoi il parle. Frédéric
                Beigbeder tire à vue sur tout ce qui bouge (qui gesticule plutôt): cadres très supérieurs
                de multinationales de l'agro- alimentaire (la marque s'appelle Madone), réalisateurs
                gonflés d'orgueil (dont l'inénarrable Enrique Baducul, roi du flou et du trip-hop), fils de
                pub qui s'usent dans le cirque du fric. Son (anti) héros a un prénom de gentil garçon.
                Octave, la trentaine, semble pourtant revenu de tout. Acro à la coke, il n'assure plus
                dans aucun domaine. Ses slogans et ses idées publicitaires sont faiblards. Son grand
                amour l'a largué (elle était enceinte, il refusait l'idée d'être père). L'argent coule à flot
                dans un océan de vide. D'abord insupportable (du genre à vomir sur votre moquette),
                Octave finit par devenir attachant. Son « ultra-moderne solitude » (pour citer Souchon,
                que Beigbeder semble beaucoup aimer) devient celle de toute une génération, lasse de
                téter au biberon de la réussite en ne carburant qu'au mépris. Au milieu du désespoir
                général, Frédéric Beigbeder multiplie les scènes drolatiques et les piques cinglantes.
                Pour l'humour noir, le bonhomme a du ressort. Les limites de « 99 francs » tiennent à
                la redite, à cette volonté forcenée de « cracher dans la soupe », de jouer les Zorro de
                la dénonciation. Dans le roman, Octave s'efforce de se faire virer. Il devra filer très
                loin (à Miami) pour y parvenir. Dans la réalité, Frédéric Beigbeder a obtenu le même
                résultat, sans avoir besoin de tuer père et mère. Juste avant la parution de « 99 francs
                », son agence de pub lui a demandé d'aller faire le zouave ailleurs.

                                                         Jean-Marc LE SCOUARNEC

Par Alexandre Rosa, rédacteur en chef de Bol.fr :

Frédéric Beigbeder est omniprésent à la télé et dans la presse. On refuse de le reconnaître. Mais qu'importe ? 99 F est le roman qui a fait beaucoup rire notre département marketing cet été. L'apologie à outrance du monde de la publicité, la campagne de Maigrelette, le yaourt de Madonne, et les déboires d'Octave, un jeune créateur politiquement incorrect, renvoient au réel. Caricature excessive ou pastiche documentaire, 99 F est plébiscité par des lecteurs de plus en plus nombreux. Et si le rire était aussi un critère de choix de lecture ? 

Ex-publicitaire, Frédéric Beigbeder
sait vendre son dernier roman

PARIS, 1er sept (AFP) - Frédéric Beigbeder, dont le roman, "99 francs", divise la critique, a le talent de faire parler de lui et, par conséquent, de savoir vendre son livre en crachant dans la soupe, ce que, d'ailleurs, il revendique.

Ce roman est une charge féroce contre la publicité : Beigbeder dit que le marketing "pervertit la démocratie", que les "créatifs" "vendent de la merde". "Nous sommes conditionnés, emballés, packagés comme des produits", écrit-il en comparant les hommes de pub aux nazis.

Dans cette rentrée littéraire un peu terne, ce livre - publié par un éditeur, Grasset, rarement bredouille à l'heure de la remise des prix littéraires d'automne - a au moins le mérite de susciter le débat sur la vraie nature de la publicité.

"Dans 50 ans, Alfred Duler sera poursuivi pour crimes contre l'humanité. Chaque fois que ce type emploie le mot +marché+, il faut comprendre «gateau» (...). Il vous hait, sachez-le. Pour lui, vous n'êtes que du bétail à gaver, des chiens de Pavlov, tout ce qui l'intéresse, c'est votre fric dans la poche de ses actionnaires (...). Et que tourne le Meilleur des Mondes Matérialistes", écrit-il à propos du directeur du marketing de la société "Madone".

Romancier, critique à la télévision ("Rive droite, rive gauche", sur Paris-Première, avec Thierry Ardisson) et dans la presse écrite (Voici), pilier des cocktails du tout-Paris culturel, protégé d'un mandarin des lettres comme Philippe Sollers, admirateur du romancier américain Bret Easton Ellis, Frédéric Beigbeder joue dans le paysage littéraire de l'époque le rôle du "bourgeois" (c'est lui qui le dit) insolent.
 

Drôle pour certains, cynique pour d'autres
 

Ce potache doué considère qu'aujourd'hui "la désobéissance est devenue une forme d'obéissance" et que "la révolte fait partie du jeu" : dans ce contexte, il est difficile de jauger la sincérité du roman.

Des critiques ont trouvé cet ouvrage drôle, d'autres cynique, titrant par exemple : "99 francs? zéro franc". Peu importe, l'important c'est qu'on en parle : l'opération est d'ores et déjà réussie, grâce en partie à une trouvaille digne d'un vrai "pubeux".

"J'écris ce livre pour me faire virer", dit Octave, le personnage principal de "99 francs", rédacteur publicitaire "mort-vivant" couvert d'argent, de jolies filles et de cocaïne. Or, Beigbeder, qui travaillait depuis dix ans dans la pub (et depuis cinq ans chez Young et Rubicam, premier groupe mondial), a été licencié pendant l'été par cette société, qui n'a pas apprécié le ton mordant de son concepteur-rédacteur. Il a décidé de porter l'affaire devant les prud'hommes.

En attendant, il explique dans les médias comment il a été licencié "sur le champ et sans indemnités", pourquoi, à 35 ans, il se sent désabusé. Il prend aussi la pose : l'air conquérant, le pied écrasant un barril de lessive, ou la main imitant un revolver pointé sur des produits laitiers, ou carrément, en "blues brother", lunettes de soleil et expression farouche, fusil sur l'épaule. 

Dans Paris-Match, Christophe Lambert, patron de l'agence CLM/BBDO, estime que ce livre est "l'acte de rédemption d'un dandy qui aurait ressenti le besoin d'expier son passé pour se faire accepter dans les milieux intellectuels parisiens", l'accusant de "démagogie". Selon lui, "la meilleure publicité n'a jamais fait vendre un mauvais produit". Les lecteurs jugeront. 



99 FRANCS, de Frédéric Beigbeder
Brief, brand review, insight, copy strat, roughman, outdoor, mainstream, go/no go, key visual, packshot, brainwash, baseline... La liste est longue, et non exhaustive ici, des vocables anglais faisant partie du sabir dont usent -et abusent tout autant- les publicitaires qui se croient dans le vent. 
Mais "qui sème le vent récolte la tempête" nous avertit en digne épigone de MC Solaar un SDF sosie du narrateur. Ce dernier, Octave Parango, que son patronyme destine à incarner l'anti-type par excellence, est pourri jusqu'à la moelle par le milieu de la pub et le fric qui l'accompagne. Etre concepteur-rédacteur dans une des plus grandes agences du XXè siècle (Rosserys & Witchcraft, dite la Rosse) devrait pourtant faire de lui un beau parti, comme l'on dit. Mais voilà: Octave ne se suffit plus de ses milliers de kilofrancs, de sa dose quotidienne de coke et des mondanités parisiennes sans fin. Il a même la bonne idée, lorsque sa femme Sophie lui annonce qu'elle est enceinte, de la plaquer sur-le-champ afin d'affirmer sa liberté de mouvement, son indépendance de mec branché qui préfère plutôt fricoter avec Tamara, sa "pute platonique". 

Voilà qui est plus tendance. Il est un peu con, Octave. La suite? Elle consiste dans le déroulement effrayant, poussé jusqu'à son extrémité logique, d'une critique radicale de la pub. Lassé et écoeuré par les manoeuvres subversives qui sont incessamment les siennes et celles de ses confrères pour suborner le public, la cible des consommateurs de masse, le jeune concepteur-rédacteur livre alors toute sa bile. Son espoir est en effet d'être viré illico presto par ses supérieurs hiérarchiques à la lecture de son testament de publicitaire "in the moove" - qui ne vaut pas plus de 99 francs à ses yeux. Et de finir ses jours sur une île paradisiaque où il partouzerait avec deux putes en s'envoyant toute la coke possible. Un rêve de grand garçon, quoi... 

Chacun sait cependant que la publicité, assimilée par Octave au fascisme hitlérien, revient à faire rêver les gens de denrées qui normalement devraient être gratuites. Ou dont ils n'ont absolument pas besoin. Il est donc logique que les délires oniriques d'Octave lui échappent et soient réalisés par d'autres à son insu: encore que, une fois informés qu'il s'agit en l'occurrence de sa femme et son patron, cette logique puisse s'avérer pour le héros au moins discutable! Toujours est-il que le jeune requin de la publicité va y laisser une partie de sa raison parce que, happé dès lors par un série de questionnements "métaphysiques" au lieu de faire son boulot: trouver l'"accroche" requise du produit laitier Maigrelette. Pas de quoi en faire un fromage - sauf si cette errance le conduit quelques moi(s) plus tard à trucider à Miami avec son copain d'agence Charlie une vieille actionnaire des fonds de pension américains! 

On mentirait donc en affirmant qu'au détour de ce roman le "totalitarisme publicitaire" ressort grandi: Beigbeder qui en connaît les arcanes comme sa poche prend un malin plaisir, selon tous les sens de l'expression, à en démonter méthodiquement les rouages. Il le fait qui plus est avec un humour aussi salutaire qu'irrésistible: les "dix commandements du créatif" en sont un bon exemple, de même que la démonstration du primat des slogans publicitaires dans l'environnement du "village global" ou du marché planétaire. Nul n'osera contester que cette "confession d'un enfant du millénaire" expose de manière implacable en quoi "les marques ont gagné la World War III contre les humains". 

Qu'on se le dise: Big Beigbeder is watching you! Les opportunistes qui surfent sur la vague du "terrorisme de la nouveauté" ne sont jamais toutefois que des victimes, ce qui montre comment la publicité a pu devenir au XXè siècle LE moyen de communication l'emportant de loin sur la politique et la religion. Certains passages flirtent ainsi audacieusement avec l'essai avant de retomber dans le sillon du récit sans prétention édifiante. 

Il est vrai qu'Octave, en tant qu'écrivain, ne cherche à duper personne: n'affirme-t-il pas dès les premières pages de son livre que "la littérature est délation"? Mais c'est pour ajouter aussitôt: "Je cherchais partout à savoir qui avait le pouvoir de changer le monde, jusqu'au jour où je me suis aperçu que c'était peut-être moi." Fissure désenchantée de l'identité au sein du monde moderne, le texte se présente comme un miroir diffracté d'Octave, renvoyant à six interprétations du même ensevelissement du personnage principal sous les immondices du crétino-capitalisme: je, tu, il, nous, vous, ils. Avec bien sûr les inévitables (fausses) coupures publicitaires les distinguant. 

Quoi qu'il en soit, de la consommation à la "consumation", le marketing s'affiche bel et bien comme "une perversion de la démocratie". A l'instar d'un La Boétie des affaires publicitaires, Frédéric Beigbeder dénonce en même temps sans mâcher ses mots la complicité et l'irresponsabilité du menu populaire qui alimente de ses propres fantasmes et appétits concurrentiels le spectre des slogans ou "titres" tyranniques... Rendons-en lui grâces : "99 francs" est un ouvrage qui lie astucieusement punch et panache. Un roman qui ne loue jamais "le style bruyant-bronzé-gourmette-vulgaire" et fait du bien là où ça fait mal! 

Frédéric Grolleau (paru.com)
Frédéric Beigbeder
             99 francs
                 Roman
   99 Francs : L'extrait :

   « Je me prénomme Octave et m'habille chez APC. Je suis
   publicitaire : eh oui, je pollue l'univers. Je suis le type qui
   vous vend de la merde. Qui vous fait rêver de ces choses
   que vous n'aurez jamais. Ciel toujours bleu, nanas jamais
   moches, un bonheur parfait, retouché sur PhotoShop.
   Images léchées, musiques dans le vent. Quand, à force
   d'économies, vous réussirez à vous payer la bagnole de
   vos rêves, celle que j'ai shootée dans ma dernière
   campagne, je l'aurai déjà démodée. J'ai trois vogues
   d'avance, et m'arrange toujours pour que vous soyez
   frustré. Le Glamour, c'est le pays où l'on n'arrive jamais.
   Je vous drogue à la nouveauté, et l'avantage avec la
   nouveauté, c'est qu'elle ne reste jamais neuve. Il y a
   toujours une nouvelle nouveauté pour faire vieillir la
   précédente. Vous faire baver, tel est mon sacerdoce. Dans
   ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce
   que les gens heureux ne consomment pas. » 
 

                 Frédéric Beigbeder est l'auteur, chez Grasset, de deux romans, Vacances
                 dans le coma (1994) et L'Amour dure trois ans (1997), et d'un recueil de
                 nouvelles chez Gallimard, Nouvelles sous ecstasy (1999). Critique à Rive
                 droite, Rive gauche sur Paris-Première, au Masque et la Plume, sur France
                 Inter, et à Voici, il est également salarié d'une agence de publicité. Le
                 restera-t-il après la publication de 99 francs ?
                 « Un rédacteur publicitaire, c'est un auteur d'aphorismes qui se vendent. »
                 Ainsi Octave résume-t-il la profession lucrative de concepteur-rédacteur,
                 qu'il exerce au sein de la célèbre agence La Rosse, et qui fait de lui un maître
                 en illusions, couvert d'argent, de filles et de cocaïne, nostalgique à jamais de
                 la femme qu'il n'aura pas su retenir. On l'a compris : la vie d'Octave est
                 sinistre. C'est un mort-vivant, aux reflets dorés de carte bancaire. Alors, un
                 jour, entre une ligne de coke et une campagne particulièrement mensongère
                 vantant les mérites de tel produit laitier, le brillant Octave déjante. La cliente
                 idéale ? « Une mongolienne de moins de 50 ans. » Les patrons de la
                 publicité ? « Ils mènent la troisième guerre mondiale. » Le voilà qui dit la
                 vérité, et agit de même ! Jusqu'au meurtre... De l'île de la Jatte où palabrent
                 les patrons d'agence à Miami-vice où l'on tourne un spot sous amphétamines,
                 d'un hôtel en Afrique à un appartement de cinq pièces à
                 Saint-Germain-des-Prés, Frédéric Beigbeder, reporter autant que romancier,
                 écrit la confession d'un enfant du millénaire, entre fiction et pamphlet. C'est
                 aussi, en riant, une dénonciation du mercantilisme universel et du jeu de
                 dupes que constitue cet autre système d'exploitation de l'homme par
                 l'homme : la publicité. Un livre moral, en somme...


Le Premier chapitre :

                Tout est provisoire : l'amour, l'art, la planète Terre, vous, moi. La
                 mort est tellement inéluctable qu'elle prend tout le monde par
                 surprise. Comment savoir si cette journée n'est pas la dernière ?
                 On croit qu'on a le temps. Et puis, tout d'un coup, ça y est, on se noie, fin du
                 temps réglementaire. La mort est le seul rendez-vous qui ne soit pas noté
                 dans votre organizer.

                 Tout s'achète : l'amour, l'art, la planète Terre, vous, moi. J'écris ce livre pour
                 me faire virer. Si je démissionnais, je ne toucherais pas d'indemnités. Il me
                 faut scier la branche sur laquelle mon confort est assis. Ma liberté s'appelle
                 assurance chômage. Je préfère être licencié par une entreprise que par la vie.
                 CAR J'AI PEUR. Autour de moi, les collègues tombent comme des
                 mouches : hydrocution dans la piscine, overdose de cocaïne maquillée en
                 infarctus du myocarde, crash de jet privé, cabrioles en cabriolet. Or cette
                 nuit, j'ai rêvé que je me noyais. Je me suis vu couler, caresser les raies manta,
                 les poumons remplis d'eau. Au loin, sur la plage, une jolie dame m'appelait.
                 Je ne pouvais lui répondre car j'avais la bouche pleine d'eau salée. Je me
                 noyais mais ne criais pas au secours. Et tout le monde faisait pareil dans la
                 mer. Tous les nageurs coulaient sans appeler à l'aide. Je crois qu'il est temps
                 que je quitte tout parce que je ne sais plus flotter.

                 Tout est provisoire et tout s'achète. L'homme est un produit comme les
                 autres, avec une date limite de vente. Voilà pourquoi j'ai décidé de prendre
                 ma retraite à 33 ans. C'est, paraît-il,


99 Francs par PHILIPPE LANÇON 
 le 24/8/2000









                          Il faut d'abord parler (brièvement) de l'auteur, puisque son
                          produit, qui a le titre de son prix (ou le prix de son titre), 99
                          francs, a des qualités inséparables de sa fringante personnalité:
                          potache, virtuose, malin, démonstratif et soumis à l'air du temps.
                       Frédéric Beigbeder est une jeune bête qui monte dans le monde
                       parisien des bars et de l'édition. Il a déjà écrit trois livres exactement
                       là où il faut: chez Grasset puis chez Gallimard, dans la collection de
                       Philippe Sollers, L'infini. Il apparaît chaque soir là où il faut: dans
                       «Rive Droite Rive Gauche», l'émission culturelle de Thierry Ardisson
                       (Paris-Première). Il écrit chaque semaine une bonne chronique
                       littéraire là où on ne l'attend pas : dans Voici (car il faut toujours
                       paraître décalé pour donner l'impression d'être libre). Bref, il fait
                       carrière dans le champ, et travaille aussi dans la pub pour une agence
                       célèbre -ou y travaillait, puisque le propos du livre, annoncé roman,
                       est de dénoncer l'arrogante vanité de ce milieu (ce qui n'est pas
                       nouveau). Beigbeder crée Octave Parango (de paragon: modèle,
                       type; une trouvaille, non?), un double cynique et dépressif qui évolue
                       dans le monde de la cocaïne, des putes et du second degré. Octave
                       est créatif dans une agence de pub, il gagne beaucoup, n'en peut plus,
                       et il écrit au jour le jour le livre que nous lisons, 99 francs, pour se
                       faire virer. Sans y parvenir, évidemment. Octave se décrit comme un
                       «caméléon camé» et Beigbeder, autre saurien de salon, a beaucoup
                       lu les auteurs du jour: Octave a tantôt l'air d'un anti-héros de
                       Houellebecq (que Beigbeder remercie avec d'autres à la fin du livre,
                       mais c'est peut-être du second degré), tantôt du youpie creux,
                       meurtrier et obsédé par les marques d'American Psycho (il finit
                       d'ailleurs par être complice d'un meurtre, dans une scène
                       invraisemblable), tantôt d'un être de Ravalec. 

                       C'est le premier problème du livre: l'impression de déjà-lu-la-veille.
                       Le patchwork de Beigbeder est composé, du titre au point final,
                       comme l'univers qu'il dénonce: de citations, de perpétuels made in.,
                       de cynisme et de superficialité. Ses personnages et ses dialogues ne
                       sont bons que lorsqu'ils sont ridicules. Son indignation contre le
                       monde marchand ne paraît sincère que lorsqu'elle se fait article de
                       journal (avec chiffres à l'appui); mais alors, on quitte le roman pour
                       l'article, et la démonstration devient lourde, voire idiote (les
                       publicitaires sont implicitement comparés à des nazis). Beigbeder a
                       fait ses courses littéraires en ligne dans les rayons qu'il aime, ou qu'il
                       croit qu'il faut aimer, et dans les journaux qu'il lit, ou qu'il croit qu'il
                       faut lire. Puis il a assemblé le tout comme on prépare un cocktail: un
                       doigt de Marx, une pincée d'humour, un gramme de mode, un style
                       sec secoué de «phrases», et le tour lui sembla joué. Comme il a du
                       talent, les scènes journalistiques (où il capte le dialogue débile de
                       créatifs en action), les tirades acerbes sur la publicité (de bonnes
                       chroniques), sont réussies. Il y a aussi affluence de mots bons:
                       «Quand un publicitaire meurt, il ne se passe rien, il est juste
                       remplacé par un publicitaire vivant», «Dis bonjour à la caméra,
                       elle est ta seule amie», ou moins bons: «L'amour ressemble aux
                       dominos: la première fois qu'on tombe amoureux entraîne toutes
                       les autres chutes.» Mais cela ne va pas plus loin: Beigbeder n'a pas
                       assez confiance en ses créatures pour s'oublier en elles, et leur donner
                       la vie et l'ombre. Les intrigues ne sont pas crédibles, puisqu'il n'y croit
                       pas (ou pas plus qu'à un bon spot de pub). Tout est soumis à l'idée
                       qu'il se fait de son talent, de son personnage, de son avenir, et du
                       second degré qui emballe sa vie comme un papier-cadeau. 

                       C'est peut-être suffisant pour se faire virer de l'agence qui le payait;
                       c'est assez pour doser un produit agréable, et, qui sait, fabriquer une
                       polémique de presse , un procès, ou un prix (littéraire). Ça ne l'est
                       pas pour faire vivre un roman.