Faut-il avoir peur de Frédéric Beigbeder ?
Nouvel Observateur - N°1798 

Oui et non. Oui, parce que ce brillant dandy, qui ne craint pas les contradictions (n'est-il pas le critique « littéraire » de « Voici », hebdomadaire des « concierges » spécialisé dans les révélations scabreuses sur la vie intime des princesses et des vedettes ­ et surtout dévoré avec passion par les princesses et les vedettes en question à l'ombre du casque de leur coiffeur), ne recule devant rien. Pour un bon mot, il déclencherait une opération militaire à l'américaine. Le quatrième livre de Frédéric Beigbeder, semi-autobiographique comme les trois autres, se présente comme un ensemble de nouvelles reliées, harmonisées, traversées par une drogue qui serait en quelque sorte un talisman : l'ecstasy, tolérée, on l'imagine, par l'incontournable Mme Christine Boutin dans la mesure où, contrairement au popper gay, cette « pilule d'amour » semble être de nature hétérosexuelle. Sous l'effet de celle-ci, Frédéric Beigbeder écrit moins des nouvelles qu'il ne raconte des histoires, vraies autant qu'imaginaires, en tout cas bien révélatrices de la tragique réalité, voire l'effarant avenir des 6e et 7e arrondissements de Paris (dont naguère Patrick Besson réclamait l'autonomie voire l'indépendance). En ce sens, le texte intitulé « Manuscrit trouvé à Saint-Germain-des-Prés » est tout à fait symbolique : dans un futur proche, pour échapper aux revendications sociales suscitées par le gouvernement ­ M. Alain Madelin est aux affaires ­, les habitants du quartier-village défini par les rues Jacob, des Saints-Pères, du Four et de Seine ont cru se protéger en bâtissant un mur à la mode berlinoise (réalisation architecturale dessinée par Philippe Starck). Mais un jour, on découvre BHL et Arielle éventrés, Claudia Schiffer violée et Philippe Sollers pendu par les pieds à la cloche de l'église de Saint-Germain-des-Prés C'est que, façon sadomasochiste, Frédéric Beigbeder nous en bouche un coin. On lira, par exemple, avec précaution « la Nouvelle la plus dégueulasse de ce recueil », qui, elle, n'en prend aucune. Bref, on s'adonnera sans peur ni reproche à cette drague littéraire, quitte à tomber sous la dépendance de l'écriture de M. Beigbeder, qui, c'est manifeste, nous veut du mal mais nous fait du bien. 

« Nouvelles sous ecstasy », par Frédéric Beigbeder, Gallimard, « l'Infini », 102 p., 65 F. 

Jean-François Josselin


'Nouvelles sous Ecstasy'
Dans la série ceux qui n'aiment pas le livre :

Beigbeder ou l’esthétique de la chasse d’eau

Comment faire un livre avec quelques fonds de tiroir ? Frédéric Beigbeder, publicitaire de profession et écrivain à temps partiel, nous donne la recette avec son dernier bouquin “Nouvelles sous ecstasy”. Il s’agit ici de courtes nouvelles déjà parues dans diverses revues - à l’exception d’ “Extasy à Go-Go” - et qui péniblement mises bout à bout forment cet opuscule de cent pages. 
Frédéric Beigbeder s’explique dans un avertissement au lecteur : ses textes ont été écrits sous l’influence de l’ecstasy, drogue de synthèse apparue en France dans les années 80. Il s’en excuse presque et, bon garçon, déconseille au lecteur la consommation d’ecsta. Tout Beigbeder est là : la provocation à deux balles et la moralisation sous-jacente. En lisant sa prose, on pense à un autre publicitaire - Séguéla - auteur notamment d’un spot qui montrait un gamin jetant de la dope dans la cuvette de chiottes tandis que le puissant et imbécile slogan “La drogue c’est de la merde” (le problème résidant justement dans le fait que les drogues n’ont pas un goût de merde, ce qui explique leur pernicieuse séduction) s’inscrivait sur l’écran. Beigbeder, lui aussi, semble fasciné par l’esthétique des chiottes et plus précisément par ce qu’elles sont chargées de collecter. Fondateur dans les années 80 du “Caca’s club” (groupe de mondains dont le plus grand fait d’armes résida dans des soirées où l’on se jetait des langoustes à la tête), Beigbeder a conservé un vif attrait pour tout ce qui touche à la scatologie. Il en est pas mal
question dans “Nouvelles sous ecstasy”. Les autres fils rouges étant le sexe et la drogue. Même si l’on peut être réservé devant la vulgate psychanalytique, on se dit que Beigbeder ferait un bon client tant la “régression” semble patente chez cet énergumène. À mi-chemin entre le punk cuvée 77 et l’enfant au stade anal, le critique littéraire de “Voici” (on a les tribunes que l’on mérite) croit être choquant alors qu’il n’est que désolant. Car ce livre est terriblement ringard, faussement décadent et réellement
médiocre. Tous les clichés des pathétiques années 80 (dont le mot d’ordre pourrait être le titre de l’essai de Gilles Châtelet : “Vivre et penser comme des porcs”) défilent. Comme nous sommes en 1999, un peu de la “France moisie” stigmatisée par Sollers (qui dirige la collection “L’Infini” dans laquelle Beigbeder est édité) pointe le bout de son nez à travers un chauffeur de taxi forcément raciste et alcoolique. Évidemment, l’autodestruction et la tentation du suicide sous-tendent les historiettes de “Nouvelles sous ecstasy” mais on ne tue rien ici et surtout pas l’ennui. De même, le sexe est triste car sans interdit. Entre Virginie Despentes - sans les fautes de français - et Bret Easton Ellis - sans le talent - Beigbeder fabrique une littérature pour yuppies en oubliant qu’ils se sont recyclés sous d’autres défroques. À côté de phrases (“L’amour et le désir sont deux choses distinctes”) qui feraient passer Guillaume Durand pour un grand penseur, on trouve une enfilade de saynètes sans saveur. Une seule phrase éveille l’intérêt page 57 : “Ma vie est merdique, je vais la supprimer.” On croit que c’est l’auteur qui parle et puis non. 

                                                                                  Christian Authier

                                          “Nouvelles sous ecstasy”, Gallimard, “L’Infini”, 102 p, 65 francs


 
 
NOUVELLES SOUS ECSTASY
de Beigbeder Frederic

 
 

"Dans les années 1980, une nouvelles drogue fit son apparition dans les milieux noctambules le MDMA, dit "ecstasy". Cette pilule de l'amour procurait d'étranges sensations bouffées de chaleur, envie de danser toute la nuit sur de la techno, besoin de caresser les gens, grinçements de dents, déshydratation accelerée, angoisse existentielle, tentative de suicide, demandes en mariage. Cétait une drogue dure avec une montée et une descente, comme dans les montagnes russes ou les nouvelles de certain écrivains américains. L'auteur de ce livre n'en consomme plus et déconseille au lecteur d'essayer non seulement l'ecstasy est illégal, mais en plus il abîme le cerveau, comme le prouve ce receuille de textes écrits sous son influence. Et puis, avons-nous d'une pillule pour raconter notre vie à des inconnus ? Alors qu'il y a la littérature pour ca ?". "Je suis assis au premier étage du Flore pour la dernière fois. Je savoure mon dernier verre de Coca-Cola Heavy. C'en sera bientôt finit. Ils arrivent. Au bout du boulevard Saint-Germain, on entend déjà leurs cris, les slogans de mort, qui font exploser les boutiques de mode, John Lobb, l'agence du Crédit Lyonnais rue du Bac. Ils ne sont plus très loin. "Je viens d'apercevoir la tête d'un de mes gardes du corps par la fenêtre, les yeux exorbités, au bout d'une pique. Ils sont entrés dans le Flore. Sartre reviens ils sont devenu fous !".

Source (Hypermark.net)

 
Nouvelles sous Ecstasy (NRF)
                                              "écrit sous X"par FXC

En dépit de son titre un tantinet "hype" et racoleur, son bouquin fut
salué par un autre critique, Michel Polac (officiant, lui, à Charlie Hebdo),
dont  l'insensibilité aux modes, prix et futilités littéraires est notoire.
Intrigué, le désœuvrement me menant à la librairie du Virgin
egastore, où l'ouvrage incriminé caracole en tête des ventes, je l'ai
cheté et même lu. Un incipit, en forme d'avertissement didactique, décrit les effets euphorisants du MDMA, plus connu sous le nom d'ecstasy, ses effets
secondaires cuisants, et invite le lecteur à n'en pas consommer puisqu'
"il abîme le cerveau, comme le prouve ce recueil de textes écrits sous son influence" et que l'auteur y a lui-même renoncé. Habile mise en garde, soufflant le chaud et le froid; habile mise en abîme puisqu'on ne sait trop si elle stigmatise les comportements induits par la consommation de cette drogue ou la narration littéraire de tels comportements sous l'emprise de ladite drogue. Cela pourrait nous conduire à dresser une rébarbative, quoique intéressante, typologie des relations entre écriture fictionnelle  et stupéfiants. D'un côté, les ouvrages qui traitent d'expériences vécues sous influence, d'un autre, ceux qui sont directement nés de la consommation de drogues, d'un autre encore, ceux qui conjuguent l'expérience vécue et sa retranscription littéraire. On pourrait alors
s'amuser à imaginer ce que donnerait la narration d'une absorption de
crack sous XTC, ou celle d'un trip au psilo sous Nembutal, ou celle d'une
 prise de Seconal sous PCP (liste non close, pour une idée des mélangespossibles se reporter à une liste de produits stupéfiants établie par Health Canada On Line). N'étant pas moi-même consommateur d'ecstasy, je ne sais donc pas si
Beigbeder écrit sur, ou sous, ou sous et sur, ou sur et sous X.
Whatever, certaines nouvelles valent la peine d'être lues, à commencer
par celle qui ouvre le recueil, Spleen à l'aéroport de Roissy
Charles-de-Gaulle, logorrhée euphorique, suite ininterrompue de
questions adressées à l'autre, dans un état d'empathie affective, avant
que l'amorce de la descente n'en sonne le glas. Ou Comment devenir
quelqu'un, hilarant monologue retraçant les dernières minutes de la vie
du plus célèbre chauffeur du Ritz, et de ses deux passagers. Ou encore
L'homme qui regardait les femmes, retour sur l'origine d'une frustration
sexuelle née avec l'éveil de la concupiscence, dérivant lentement vers
misogynie et scoptophilie : " synonyme de voyeurisme, bande
d'ignares".
D'autres, moins réussies, ont une résonance  sociale et sont de
purs moments d'anticipation, comme Manuscrit trouvé à
Saint-Germain-des-Près qui narre l'ultime lutte des germanopratins
pour leurs privilèges obscènes avant que les exclus ne se révoltent,
n'éventrent BHL et Dombasle, et ne pendent Sollers par les pieds, ou Le
 jour où j'ai plu aux filles, narration burlesque, onirique et
pornographique des effets que pourrait entraîner l'annonce de la mort
du Sida.
Les nouvelles, recelant bien souvent de petites audaces verbales fort
ludiques, sont ponctuées de sentences aussi bidonnantes que définitives
comme "une soirée, comme une vie, n'est réussie que si elle a mal
commencée". L'ensemble dépeint le blues des nantis avec une
complaisance et une coquetterie ostentatoires qui lui confère paradoxalement son authenticité. Finalement, le défaut de Beigbeder, habile narrateur du mal-être fin de siècle, réside dans  son romantisme échevelé qui le mène à confondre spleen et idéal et à ériger le  spleen en idéal. Mais dans le genre, on fait franchement pire. Je pense au premier roman de Charles Pépin, Descente,  dont j'espère que la carrière sera aussi brève que le surnom de son illustre aïeul.